Dans le cadre du Réseau Syndical International de Solidarité et de Luttes (RSISL), une conférence syndicale internationale a eu lieu le 21 et le 22 juin 2025 à Kyiv, en Ukraine. Parmi les participant·es figuraient des représentant·es de plusieurs syndicats et organisations politiques : Inicjatywa Pracownicza (Initiative des travailleurs, Pologne) ; Priama Diia (Пряма Дія, Action Directe, syndicat étudiant, Ukraine) ; syndicats indépendants des travailleur·euses du rail de Kyiv et de Kryvyï Rih (Ukraine) ; Be Like We Are (Будь як Ми, mouvement indépendant des travailleur·euses de la santé, Ukraine) ; Sotsialnyi rukh (Соціальний рух, Mouvement Social, Ukraine). Dans le cadre des activités de la Commission internationale de l’Union syndicale Solidaires, des représentants de SUD Rail, de SUD Santé & Sociaux et de SUD Éducation étaient présents. Chaque organisation a été invitée à présenter le panorama social de son pays ainsi que ses activités. Des échanges par branches professionnelles s’en sont suivis.
Priama Diia, un syndicalisme étudiant horizontal, enjeux et luttes :
Priama Diia est un syndicat étudiant ukrainien, refondé en 2023. Priama Diia revendique un syndicalisme de lutte basé sur l’horizontalité et l’autonomie des syndicats locaux rassemblés en Congrès. Des Comités permettant de coordonner les luttes et les actions du syndicat (dortoirs, anti-discrimination, aide juridique, communication) émanent de ce Congrès.
Lors de la conférence, nos camarades ukrainien·nes ont détaillé leurs luttes et leurs enjeux :
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Absence de protection face aux dégâts liés à la guerre : les infrastructures universitaires, y compris les dortoirs, sont fréquemment endommagées lors d’attaques et sont rarement réparés. Au lieu de recevoir des financements publics suffisants pour restaurer les campus après les frappes russes, les universités doivent souvent se tourner vers des associations caritatives ou demander l’aide financière des étudiant·e·s ;
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L’état des dortoirs dans la plupart des universités ukrainiennes est déplorable. Le gouvernement fournit peu ou pas de financement pour les réparations ou pour offrir des services accessibles dans les logements étudiants. Certains responsables politiques ont proposé d’augmenter les loyers des dortoirs sans revaloriser les bourses étudiantes. En raison du manque de logements sociaux, les places disponibles en dortoirs sont très largement insuffisantes ;
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Réformes néolibérales de l’enseignement supérieur : l’introduction d’un système de financement par bourses menace l’accessibilité de l’enseignement supérieur et impose une obligation d’emploi aux étudiant·e·s dont les études sont financées par l’État. Le gouvernement, par décret, cherche à augmenter les frais de scolarité, rendant l’accès à l’université encore plus difficile et inégalitaire. Enfin la fusion forcée d’universités remet en cause l’indépendance et la spécificité des plus petits établissements ;
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Marginalisation, dans l’offre de formation, des approches critiques : les approches matérialistes et libertaires en économie, en philosophie et en histoire sont largement exclues des programmes universitaires. Priama Diia organise donc des ciné-clubs, des clubs de lecture et des cours gratuits afin d’aborder les théories et concepts qui ne sont pas enseignés à l’université.
A cause de la guerre menée par la Russie, de nombreuses universités organisent leurs formations complètement en ligne. Cette situation implique une forme d’aliénation d’une partie des étudiant·es vis-à-vis de la communauté universitaire. En tant que syndicat étudiant, Priama Diia tente de créer des espaces alternatifs de socialisation, d’échanges et de politisation. Ces ciné-clubs, ces cours gratuits et ces clubs de lecture sont autant de moyens pour créer ces espaces.
Priama Diia organise aussi des manifestations et apporte un soutien juridique aux étudiant·es ukrainien·es dans les universités où le syndicat est implanté. Les étudiant·es ont aussi mis en place des Free markets. Ces espaces permettent aux étudiant·es d’échanger librement des vêtements, des livres, des produits sanitaires... Ils sont aussi un moyen de créer du lien et de dynamiser les actions et les luttes menées par le syndicat. Enfin, Priama Diia est engagé à l’international, notamment à travers le Réseau Syndical International de Solidarité et de Luttes (RSISL) ou le réseau « Universities at War ».
Inicjatywa Pracownicza (IP, branche étudiante) ;
La branche étudiante d’IP, syndicat inter catégoriel polonais, est active depuis 2020 et est implantée dans 8 villes polonaises. Chaque branche locale fonctionne de façon autonome tout en organisant certaines actions au niveau national. Les camarades étudiant·es d’IP ont indiqué focaliser leur action sur les trois problématiques les plus urgentes : l’élitisme et l’accès à l’université, les emplois étudiants précaires et la crise du logement.
Les étudiant·es et les travailleurs·euses des universités polonaises font face à une privatisation massive des infrastructures (cantines, dortoirs…). La gestion du peu de nouveaux bâtiments ouverts est la plupart du temps externalisée et laissée à l’arbitrage d’acteurs privés. Seulement 9 % des étudiant·es ont la possibilité d’accéder à des logements étudiants alors même qu’au cours des cinq dernières années, les loyers dans les grandes villes polonaises ont augmenté, en moyenne, de 30 à 50 %. En conséquence, les dépenses mensuelles moyennes des étudiant·es (notamment logement et nourriture) ont dramatiquement augmenté depuis une dizaine d’années. En 2016, cette somme s’élevait à 1574 zlotys (environ 370 €) et à 3952 slotys (environ 930 €) en 2024, selon une étude du Student Wallet Report. Les étudiant·es doivent donc de plus en plus travailler en parallèle de leurs études afin de subvenir à leurs besoins. En 2025, 83 % des étudiant·es déclarent travailler, dont 40 % à temps plein. Ces emplois sont le plus souvent très physiques, mal payés, sans congés ou arrêts maladie (« junk contracts »).
La branche étudiante d’IP considère la grève et l’occupation comme l’un des meilleurs moyens de créer un véritable rapport de force entre les étudiant·es et les institutions publiques (présidence de l’Université et ministère). De telles occupations ont eu lieu à Poznan, à Cracovie et à Varsovie. Avant de se rendre en Ukraine, la délégation française de Solidaires a d’ailleurs eu l’occasion de rencontrer les camarades occupant actuellement l’Université de Varsovie.
Ce syndicat mène aussi diverses activités éditoriales (journaux étudiants, livres et brochures) afin de publiciser leurs luttes auprès des étudiant·es et du grand public. La branche étudiante d’IP est aussi engagée à l’international en tissant de nombreux liens avec Priama Diia et participe au réseau « Universities at War », que ce syndicat a participé à fonder, ainsi qu’au Réseau Syndical International de Solidarité et de Luttes (RSISL).
Conclusions et perspectives :
Les tables-rondes et les échanges ayant eu lieu lors de la conférence de Kyiv ont mené à plusieurs conclusions. En Ukraine, en Pologne ou en France, les étudiant·es et les travailleurs·euses font face à des problématiques similaires. La libéralisation de l’université, avec l’implication croissante d’acteurs privés dans les infrastructures ou dans les formations dispensées, mène inéluctablement à la dégradation des conditions d’études et de travail. Evidemment, la guerre impérialiste menée par la Russie en Ukraine aggrave ces dynamiques. D’une part car l’armée russe bombarde quotidiennement la population ukrainienne, sans distinction, et d’autre part car le gouvernement ukrainien mène une politique de casse sociale et tente de criminaliser l’action syndicale de nos camarades.
Il est essentiel de continuer à tisser des liens avec ces organisations syndicales. Pour ce faire, les échanges entre branches professionnelles doivent être priorisées. SUD Éducation sera d’ailleurs représenté du 4 au 6 juillet 2025 à Bologne, pour le IIIème Congrès du réseaux « Universities at War ».
Plus que jamais, la solidarité syndicale internationale !
Kyiv, June 21–22 : An International Trade Union Conference
As part of the International Labour Network of Solidarity and Struggle, an international trade union conference took place on June 21 and 22, 2025, in Kyiv, Ukraine. Among the participants were representatives from several trade unions and political organizations: Inicjatywa Pracownicza (Workers’ Initiative, Poland); Priama Diia (Пряма Дія, Direct Action, student union, Ukraine); independent railway workers’ unions from Kyiv and Kryvyi Rih (Ukraine); Be Like We Are (Будь як Ми, independent healthcare workers’ movement, Ukraine); and Sotsialnyi rukh (Соціальний рух, Social Movement, Ukraine). As part of the international activities of Union Syndicale Solidaires, representatives from SUD Rail, SUD Santé & Sociaux, and SUD Éducation were also present. Each organization was invited to present an overview of the social situation in their country and their activities. Sector-specific discussions followed.
Priama Diia: A Horizontal Student Unionism, Issues and Struggles
Priama Diia is a Ukrainian student union, reestablished in 2023. Priama Diia advocates a combative unionism based on horizontality and the autonomy of local unions united in a Congress. From this Congress emerge Committees responsible for coordinating union struggles and actions (dormitories, anti-discrimination, legal aid, communication).
During the conference, our Ukrainian comrades detailed their struggles and the challenges they face:
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Lack of protection against war-related damage: University infrastructure, including dormitories, is frequently damaged during attacks and rarely repaired. Instead of receiving sufficient public funding to restore campuses after Russian strikes, universities often have to rely on charities or request financial contributions from students.
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Deplorable condition of university dormitories: The government provides little to no funding for repairs or accessible services in student housing. Some political figures have even proposed raising dormitory rents without increasing student grants. Due to the lack of social housing, available dormitory spaces fall drastically short of demand.
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Neoliberal reforms in higher education: The introduction of a scholarship-based funding system threatens access to higher education and imposes work obligations on students whose studies are state-funded. Through decree, the government seeks to raise tuition fees, making university access even more difficult and unequal. The forced merging of universities also undermines the independence and distinct identity of smaller institutions.
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Marginalization of critical academic approaches: Materialist and libertarian perspectives in economics, philosophy, and history are largely excluded from university curricula. In response, Priama Diia organizes film clubs, reading groups, and free courses to explore theories and concepts not taught at university.
Because of the war waged by Russia, many universities are conducting their courses entirely online. This situation results in a form of alienation for some students from the university community. As a student union, Priama Diia is attempting to create alternative spaces for socialization, exchange, and political engagement. These film clubs and reading groups are all ways to create such spaces.
Priama Diia regularly organizes demonstrations, and provides legal support to students at universities where the union is active. Students have also set up Free Markets—spaces for freely exchanging clothes, books, hygiene products... These are also spaces to foster community and energize the union’s actions and struggles. Priama Diia is also engaged internationally, particularly through the International Labour Network of Solidarity and Struggle and the "Universities at War" network.
Inicjatywa Pracownicza (IP, Student Branch) :
The student branch of IP, a cross-sector Polish trade union, has been active since 2020 and operates in eight Polish cities. Each local branch functions autonomously while coordinating certain actions at the national level. IP’s student comrades reported focusing on three urgent issues : elitism and access to university, precarious student employment, and the housing crisis.
Students and university workers in Poland face massive privatization of infrastructure (canteens, dormitories, etc.). Management of the few newly built facilities is often outsourced to private actors. Only 9% of students have access to student housing, even though rents in major Polish cities have increased by an average of 30 to 50% over the past five years. As a result, average monthly student expenses (especially for housing and food) have skyrocketed in the past decade. In 2016, this amount was 1,574 zlotys (about €370) ; by 2024, it had reached 3,952 zlotys (about €930), according to the Student Wallet Report.
Consequently, students increasingly work alongside their studies to meet basic needs. In 2025, 83% of students report being employed, 40% of them full-time. These jobs are often physically demanding, poorly paid, and without paid leave or sick days (“junk contracts”).
The student branch of IP sees strikes and occupations as the most effective means of creating a real balance of power between students and public institutions (university leadership and the ministry). Such occupations have taken place in Poznań, Kraków, and Warsaw. Before traveling to Ukraine, the French Solidaires delegation had the opportunity to meet with comrades occupying the University of Warsaw.
This union also conducts various publishing activities (student newspapers, books, and brochures) to promote their struggles among students and the general public. IP’s student branch is also internationally active, maintaining strong ties with Priama Diia and participating in the “Universities at War” network, which it helped found, as well as in the International Labour Network of Solidarity and Struggle.
Conclusions and Perspectives
The roundtables and discussions held during the Kyiv conference led to several conclusions. In Ukraine, Poland, and France alike, students and workers face similar issues. The liberalization of universities—with increasing involvement of private actors in infrastructure and academic programs—inevitably leads to deteriorating study and working conditions. Clearly, the imperialist war waged by Russia in Ukraine further exacerbates these dynamics. On one hand, the Russian army bombards the Ukrainian population indiscriminately on a daily basis ; on the other hand, the Ukrainian government is pursuing a policy of social dismantling and attempting to criminalize the trade union activities of our comrades.
It is essential to continue strengthening ties with these trade union organizations. To that end, cross-sector exchanges must be prioritized. SUD Éducation will be represented from July 4 to 6, 2025, in Bologna, at the 3rd Congress of the “Universities at War” network.
Now more than ever : international trade union solidarity!