Lettre à AOC des enseignants du collège Georges Rouault (19e)

A Madame Amélie Oudéa-Castéra

Ministre de l’Education Nationale, de la   Jeunesse, des Sports et des Jeux Olympiques et paralympiques

 

C’est avec la plus grande colère que nous avons pris connaissance de la réforme dite du « Choc des savoirs » annoncée par Gabriel Attal et que vous avez réaffirmée le 11 janvier 2024, lors de la cérémonie de passation de pouvoir.

 

Parmi les nombreuses mesures qui vont au rebours des valeurs de la devise républicaine, pourtant portées comme un étendard par le « Choc des savoirs », nous dénonçons la mise en place de « groupes de niveaux flexibles tout au long du collège, avec des effectifs réduits à une quinzaine d’élèves pour les groupes les plus fragiles », et ce, en mathématiques et français.

 

La mise en place de groupes de niveau va à l’encontre de toute la recherche scientifique française et internationale des dernières années car ils entérinent un système élitiste où le tri scolaire et social devient une norme profondément inique que nous condamnons ardemment. En effet, nous défendons un collège où personne n’est marginalisé, nous défendons un collège qui lutte contre la ségrégation et contre les inégalités, nous défendons un collège qui émancipe chacun.e, nous défendons un collège qui favorise le bien-être de toutes et tous. L’appartenance à tel ou tel groupe retentit sur le processus de l’identité personnelle et sociale de l’élève, ce qui a forcément des conséquences sur son implication dans les apprentissages et dans l’estime de soi. Enfermer des élèves fragiles dans des groupes ne peut que générer un mal-être profond, voire de l’anxiété. De même l'école est-elle là pour distinguer des champions sûrs d'être à la meilleure place dans la petite société que forme un collège ? N'y a-t-il pas là le risque d'une forme de ségrégation dont personne, assurément, ne serait bénéficiaire ?

 

La mise en place d’une nouvelle réforme témoigne, en outre, d’un profond mépris à l’égard des enseignant.e.s de français et de mathématiques qui ont œuvré, lors de la rentrée 2023, avec une énergie et un altruisme infaillibles à la mise en œuvre « d’une heure hebdomadaire de soutien ou d’approfondissement en mathématiques ou en français, autour des compétences clés, afin de remédier aux difficultés des plus fragiles et de cultiver l’excellence des plus à l’aise ». Le travail immense effectué par les enseignant.e.s de français et de mathématiques se voit piétiné par votre injonction à mettre en œuvre les groupes de niveaux.

 

En outre, la mise en place concrète des groupes de niveau relève d’un casse-tête en termes d’emploi du temps et va donc engendrer une nette dégradation des conditions de travail des enseignant.e.s, des conditions d’études des élèves et donc du bien-être de toutes et tous.

 

Puis, la mise en place des groupes de niveau sonne le glas des projets de classe très souvent réalisés avec les enseignant.e.s de mathématiques et de français. Or, les projets de classe sont indispensables tant ils portent l’ensemble des élèves vers un élan collectif créateur et émancipateur.

 

Enfin, les moyens alloués ne permettent pas toujours de financer les groupes de niveau. Mettre en place des groupes de niveau en cinquième se ferait donc au détriment de dispositifs dédiés à l’égalité des chances de toutes et tous (groupes à effectifs réduits en langues et en sciences, choix de la LV2, du latin, classe média,...)

 

Forts du Code de l’éducation et de son article R. 421-2 qui précise que « l’organisation en classes et en groupes d’élèves ainsi que les modalités de répartition des élèves » relèvent de la compétence de l’établissement scolaire et donc de son conseil d’administration, nous refusons donc de mettre en œuvre les groupes de niveaux homogènes à la rentrée 2024. Nos classes seront hétérogènes car c’est le meilleur moyen de remédier peu à peu aux difficultés des élèves les plus fragiles sans pour autant nuire aux élèves performants. Pour combattre les inégalités auxquelles nous sommes confronté.e.s chaque jour, nous continuerons d’organiser, de manière momentanée, des groupes de compétences selon des besoins spécifiques, besoins qui auront été préalablement identifiés par des professeur.e.s qui connaissent leurs élèves, et non par des évaluations nationales formatées. Il est fondamental que les élèves puissent se construire au sein d’un groupe classe pluriel où ils.elles peuvent travailler ensemble, la coopération, la solidarité, l’ouverture à autrui, la tolérance, le vivre-ensemble, les compétences psychosociales,…Mais notre combat sera d’autant plus efficace si vous nous aidez plutôt que si vous œuvrez à la destruction de l’enseignement public. Une réduction des effectifs des classes hétérogènes, une inclusion de qualité pour tous les élèves, avec des moyens humains suffisants (enseignant.e.s et aesh), voici ce dont les enseignant.e.s et les élèves ont besoin.