Non à l’islamophobie à l’école et ailleurs !

À l’heure où les idées racistes et islamophobes sont largement répandues à travers des médias qui, lorsqu'il ne banalisent pas ouvertement les théories du grand remplacement et de guerre des civilisations, font la propagande raciste et islamophobe du gouvernement, il est important de rappeler nos ambitions d’une école émancipatrice et ouverte à tou·tes sans distinctions de genre, d’origine, de religion et de milieu social. Au-delà de ces ambitions concernant le système éducatif, dénoncer les stigmatisations croissantes subies par plusieurs d'entre nous, par plusieurs de nos élèves, nos parents d'élèves, nos voisin·es, nos ami·es, nos familles, nos collègues est une prise de position politique. Il s'agit de se tenir solidaires aux cotés de celles et ceux qui subissent une tempête dont personne ne connaît l'issue.

L'islamophobie est présente dans la société et dans l’Éducation Nationale depuis des années.
Avant même la promulgation de la Loi de 2004 interdisant le port de signes religieux à l’école,
des élèves musulmanes avaient été exclues de leur collège en raison de leur voile, comme en
témoigne « l'affaire de Creil » en 1989. La Loi de 2004 est un échec : en ciblant la religion musulmane elle n’a fait que légaliser l’islamophobie et exclure des élèves de l’école publique.

L’islamophobie du gouvernement actuel n’est pas à prouver. Le ministre de l'intérieur Gérald
Darmanin a explicitement dit qu’il trouvait Marine Le Pen trop molle sur la question de l’Islam. L’ancien ministre Jean-Michel Blanquer a lancé une véritable politique de chasse aux musulman·es dans l’Éducation Nationale, en présentant l’Islam comme un danger pour les valeurs de la République. Les choses ne se sont pas améliorées sous Pap N’diaye avec la circulaire de novembre 2022 promouvant une sanction pour tou·te élève qui tenterait de manifester une appartenance religieuse ou culturelle  à l’école. On a ainsi pu entendre le ministre mentionner l’existence de signes religieux « par destination », concept des plus flous et tendancieux laissant les chef·fes d’établissement décider ce qui constituerait un vêtement religieux ou non selon l'origine de la personne qui le porte. Bien entendu, c’est la religion musulmane qui est visée par cette circulaire qui n’a d’autre but que de traquer les jeunes filles portant des abayas.

Au mois d’avril 2023, le ministère de l'intérieur a demandé dans les académies de Toulouse et Montpellier de « recenser » les élèves absent·es le jour de L’ Aïd El-Fitr, fête musulmane qui marque la fin du Ramadan. Ce fichage constitue une pratique totalement discriminante et illégale puisque l'article 8 de la loi du 6 juillet 1978 interdit la collecte de données sur des facteurs raciaux, politiques ou religieux. Ceci d’autant plus que le droit à une autorisation d’absence pour fête religieuse est prévu dans le code de l’Éducation. Cette directive émanait du ministère de l'intérieur.

Pour se justifier, le gouvernement mentionne l’augmentation des atteintes à la laïcité avec 720 signalements en octobre 2022 (plus 130% par rapport à septembre). Elle est cependant
liée à l’élargissement abusif du terme d’atteinte à la laïcité. En effet, 40% de ces atteintes
seraient liées à des vêtements dits religieux. Or de nombreux témoignages récoltés par le Collectif contre l'islamophobie en Europe (CCIE) montrent l’arbitraire total qui entoure ces signalements : un bandeau ou une capuche peuvent être considérés comme un signe religieux. Des élèves utilisant des mots en arabe ont également été signalé·es au rectorat. La paranoïa collective autour de la religion musulmane s’intensifie toujours plus.

Enfin, l'offensive islamophobe se poursuit avec le nouveau ministre de l’Éducation Nationale,
Gabriel Attal. Peu après sa prise de fonction, ce dernier interdit le port des abayas dans les établissements scolaires à la rentrée 2023. Cette interdiction entraîne des délits de faciès envers les élèves à l’entrée des collèges et lycée pour distinguer les robes longues des abayas. Ce « filtrage » des tenues vestimentaires existait déjà dans plusieurs établissements : bandeau trop large, tee-shirt ou jupe trop courte… Il a été renforcé et généralisé. Le contrôle des corps et des vêtements s'inscrit dans la continuité des offensives islamophobes et sexistes dans l’Éducation Nationale.

L’hypocrisie est d’autant plus frappante que 7300 écoles privées sous contrat (donc subventionnées par L’État) sont catholiques contre… 6 musulmanes. Le gouvernement ne semble pas s’embarrasser de considérations laïques quand il s’agit de la religion catholique.

Suite à l'assassinat de Samuel Paty en octobre 2020, alors que des personnels étaient sous le choc, la récupération politique de l'extrême droite et du gouvernement a été immédiate. Une explosion des signalements d'atteinte à la laïcité, pour des motifs souvent ubuesques, a été enregistrée dans la période.

La réponse a été l’instauration du Fonds Marianne par la ministre déléguée Marlène Schiappa pour promouvoir la laïcité et sensibiliser les jeunes aux « idées séparatistes ». 2,2 millions d'euros de subventions ont été versés. En mai 2023, des journalistes révèlent que ces fonds ont été octroyés de façon opaque, que certains appels à projet étaient presque vides et que les bénéficiaires étaient pour la plupart proches du Printemps Républicain – mouvement politique ouvertement islamophobe. En septembre, Emmanuel Macron a évoqué sur Youtube le souvenir de Samuel Paty pour justifier sa politique d’interdiction des abayas, créant ainsi un parallèle entre un vêtement et l’assassinat de notre collègue. La stigmatisation raciste est à son comble et laisse des marques indélébiles dans toute la société.

Dans le 1er degré

Les mères d'élèves portant le voile sont exposées à de nombreuses offensives islamophobes à l'école, notamment depuis la circulaire Chatel de 2012 permettant au conseil d'école de refuser leur présence lors des sorties scolaires. Bien qu'une jurisprudence contredise cette circulaire, la volonté d'interdire aux mères d'élèves portant le voile d'accompagner leurs enfants en sortie ressurgit régulièrement, comme en 2019 avec la loi Blanquer « pour une École de la confiance » puis 2021 avec la loi « séparatisme ».

Le 16 juin 2023 à Nice, on apprend que la mairie est en émoi suite au signalement pour radicalisation d’élèves de… 8 ans. Ces enfants jouaient à faire la prière dans la cour. Tout événement est récupéré politiquement par les médias sous un prisme islamophobe. Les actes des enfants de familles musulmanes ou supposées l’être sont systématiquement passés au crible de la laïcité et entachés de soupçon. On imagine le traumatisme et la violence symbolique que représente cet acharnement sur ces enfants, et la perte de confiance en l’école publique qu'il peut engendrer.

La question des repas à la cantine constitue aussi un véritable enjeu. Bien qu'il y ait des alternatives au porc, ce n'est pas forcément le cas pour les autres viandes et certain·es enfants se retrouvent donc à ne manger que l’accompagnement. C’est pourquoi une véritable option végétarienne doit être proposée systématiquement dans les cantines scolaires. Par ailleurs, au-delà de l'aspect inclusif de cette mesure, c’est aussi une question écologique et de santé publique.

Des personnels de l’Éducation Nationale subissent également l’islamophobie du ministère avec notamment des refus d’autorisation spéciale d’absence pour l’Aïd, en contradiction avec les textes réglementaires.

Dans le second degré

Dans les lycées, les assistant·es d’éducation se retrouvent en première ligne de la mise en application de cette politique répressive. On leur demande de contrôler que les élèves musulmanes ou supposées musulmanes enlèvent bien leurs abayas et robes longues, de vérifier qu’elles ne mettent pas leur capuche, de refuser l’entrée à des élèves qui portent le voile ou une tenue supposée religieuse, parfois même de contrôler la taille des bandeaux des élèves.

Lorsque les AED protestent contre les dérives racistes et islamophobes, en se mettant en grève ou en affichant leur désaccord, ils et elles sont sanctionné·es, licencié·es ou à minima non-renouvelé·es. C’est par exemple le cas au lycée Victor Hugo à Marseille, où l’équipe des AED s’est mise en grève pour protester face aux propos racistes tenus par le proviseur à des élèves racisé·es. Dans ce même établissement, deux postes d’AED ont été créés spécifiquement pour contrôler les tenues des élèves. Les AED sont directement recruté·es par les chef·fes d’établissement, qui ont donc tout le pouvoir nécessaire pour les réprimer. Les AED ne sont pas la police de l’Éducation Nationale. Ils ont un rôle éducatif et non répressif.

D’un autre côté, les AED racisé·es et/ou supposé ·es musulman·es subissent également des discriminations à l’embauche et dans l’exercice de leurs fonctions. Ces dernier·es peuvent
même se voir accusé·es de complaisance envers les élèves racisé·es, en leur reprochant
notamment de fermer les yeux sur les tenues des élèves.

Les discriminations islamophobes se multiplient dans l’Éducation Nationale, la loi de 2004 devenant un cadre abusif de légitimation de ces violences, jusque dans la formation des futur·es enseignant·es.

 

Dans l'ESR

Dans l’enseignement supérieur, le port de signes religieux est autorisé pour les usager·es mais cela ne veut pas dire que les personnes qui en portent ne se voient pas discriminées. L'enquête ACADISCRI (Enquête nationale sur les discriminations à l'université) montre que 12,3 % des étudiant·es qui se disent perçu·es comme musulman·es ou encore 16,2 % des étudiant·es se déclarant eux·elles-mêmes comme noir·es et 15,9 % comme asiatiques affirment avoir subi des faits racistes.

Le port du voile par les étudiantes musulmanes est l’un des principaux facteurs de discrimination islamophobe dans l’enseignement supérieur. Ces discriminations peuvent avoir lieu en cours ou en lien avec l'administration; nombreux sont également les cas où une étudiante portant le foulard s’est vue refuser l’accès à la pratique sportive à l'université.

Le rapport d'enquête produit par les Étudiants Musulmans de France établit que les discriminations à caractère racial ou islamophobe ont eu une conséquence directe sur la scolarité de 35% des répondant·es et des répercussions sur le plan psychologique et mental pour 38%. Si ces faits peuvent théoriquement être portés devant une cellule de veille et d'écoute, 45,1% des universités n’en disposent pas, et 76,9% des universités en disposant ne traitent pas du tout du racisme et de l'islamophobie.

La dimension sexiste de l'islamophobie

Les raisons pour lesquelles des filles ou des femmes portent le voile n'ont pas à être jugées.
On ne leur donne d'ailleurs jamais la parole. On leur prête des intentions, on accuse leurs familles, on ne cherche pas à les écouter ni à les comprendre : on les rejette en bloc. Par ailleurs, il est bon de rappeler que porter un signe religieux n’est pas du prosélytisme. « L’école républicaine » cherche à faire comme si les diversités culturelles et religieuses des élèves français·es n’existaient pas. Mais c’est tenter d’imposer un modèle universel dépassé qui exclut toute personne qui sortirait du cadre rigide qu’elle impose.

Alors que les islamophobes instrumentalisent la situation politique en Iran et en Afghanistan, il est nécessaire de rappeler que le contexte ici est différent. Si ailleurs des femmes se battent pour pouvoir enlever leur voile, d’autres se battent ici pour pouvoir le porter sans être discriminées. La lutte contre les oppressions dans ces dictatures ne s’oppose pas à la lutte contre les oppressions islamophobes ici. En effet, les lois islamophobes en vigueur depuis 2004 visent prioritairement les femmes racisées et le contrôle de leurs corps.

Les personnes qui disent que les femmes musulmanes seraient soumises et qu’on leur imposerait le port du voile sont aussi les premières à les empêcher de choisir leurs activités librement. Quand celles-ci s’engagent en politique on les accuse d’être radicalisées, quand elles veulent faire du sport on dénonce encore leurs tenues (pression de député·es pour retirer de la vente des burkinis et des « hijabs sportifs » par exemple), quand elles veulent accompagner les sorties scolaires de leurs enfants on les humilie en public, etc. Il y a une incohérence énorme à brandir l'argument de l’émancipation des femmes musulmanes tout en organisant leur exclusion des espaces publics. D'autant que la politique de la « police du vêtement » a été écartée lors des débats de la loi de 1905, précisément  parce que la laïcité est avant tout la garantie de la liberté de conscience. La neutralité religieuse est à la charge de l'État et de ses institutions, pas de ses citoyen·nes.

Ironiquement le crop top, les jupes courtes et les shorts portés par des filles font aussi polémique et sont également source de discriminations dans les collèges et les lycées. Quand l’Éducation Nationale cessera-t-elle de vouloir contrôler les corps des femmes et se concentrera plutôt sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles omniprésentes dans les établissements ?

SUD éducation Paris revendique :

➜ une école publique émancipatrice ouverte à tou·tes sans discrimination aucune,
➜ l'abrogation de toutes les lois et circulaires islamophobes,
➜ la fin de l'interdiction des abayas dans les établissement scolaires,
➜ la fin des convocations et des sanctions abusives d’élèves accusé·es d’enfreindre la
laïcité,
➜ la réintégration des personnels mis·es à pied ou licencié·es abusivement pour avoir
protesté contre l'islamophobie dans l’Éducation Nationale,
➜ la mise en place d'une option végétarienne dans toutes les cantines scolaires,
➜ la fin du financement de l’école privée par l’État et le transfert des personnels dans le
public.

Nous invitons tous les personnels témoins ou victimes d’agression et/ou de harcèlement islamophobe à contacter Sud éducation Paris. Ne nous laissons plus faire, ne laissons plus rien passer. Face à l’islamophobie et au racisme, face aux idées d'extrême droite, soyons solidaires !

 

SUD éducation saisit le Conseil d’État pour demander la suspension de la note de service sur les abayas