« Notre école, faisons-​la ensemble »… mais pas celle-​la ! Motion des enseignant·es de l’école Jomard (19e)

« Notre école, faisons-la ensemble »... mais pas celle-la !

Motion des enseignant·es de l'école Jomard (19e)

Depuis septembre dernier, l'opération « Notre école, faisons-la ensemble » a été lancée par le ministère de l'Éducation nationale. Doté d'un fonds de 500 millions d'euros sur le quinquennat, ce dispositif permet de solliciter le financement de projets pédagogiques, sur la base du volontariat.

Voici quelques-unes des raisons pour lesquelles nous avons décidé de boycotter ce dispositif et appelons nos collègues à faire de même :

  • il s'agit d'un dispositif injuste, qui va contribuer à creuser les inégalités et la ségrégation scolaire, déjà très forte en France : les enseignants auront davantage le temps de s'impliquer dans l'organisation, la rédaction et le suivi de tels « appels à projets » dans les écoles au public favorisé que dans les écoles au public en difficulté (sociale, scolaire, etc.). Par ailleurs, les enseignants n'ont pas attendu ce dispositif pour monter de nombreux projets pour et avec leurs élèves : ce n'est pas parce qu'ils n'en font pas la publicité ou ne communiquent pas dessus auprès du ministère ou de leurs représentants qu'ils n'existent pas !
  • le projet est piloté/cogéré par un « Lab » : le Lab 110bis, sorte de start-up proposant des outils comme une Compilation de facilitation, catalogues d'exercices issus du marketing avec termes en anglais (design thinking, templates, business model canva adapté au service public (!!)...), qui nous explique comment « comprendre nos usagers ». La « start-up nation » est déjà présente à l'Éducation nationale !
  • des entreprises (par exemple de mobilier scolaire) sont déjà sur le coup : certaines démarchent par téléphone pour proposer leurs produits en proposant aux directeur·trice·s d'école de leur fournir un projet « Notre école, faisons-la ensemble » rédigé par leurs soins afin de pouvoir le soumettre à la commission d'attribution...
  • les projets présentés par certaines écoles prévoient une « indemnisation des personnels porteurs de projet », ce qui est également évoqué dans le Guide de dépôt des projets : « L'investissement des personnels à l'appui des projets pourra faire l'objet d'une prise en charge financière, par exemple sous la forme d'IMP spécifique. ». Ainsi, certains collègues pourront, en plus des missions proposées par le « Pacte » (revalorisation liée à l’exercice de nouvelles missions), toucher d'autres « indemnisations » en participant à de tels projets. Vive la concurrence entre collègues !
  • pour présenter un projet dans le cadre de ce dispositif, il faut faire « Le portrait de notre école », et pour cela, un document très synthétique agrémenté de divers logos permet de remplir huit encadrés présentant l'école (en quelques lignes : sur huit items, deux concernent les résultats aux évaluations nationales (celles des CP et des 6e des anciens CM2 de l'école) ! Le classement des écoles est clairement en route.

Ce projet est destructeur pour l'École publique ! Il met en concurrence les écoles et les collègues : il prépare la rémunération au mérite, le classement des écoles, etc.

Il creuse les inégalités.

Il vise à transformer les enseignants en organisateurs et rédacteurs d'appels à projets.

Il utilise les outils du marketing.

Il ouvre grand les portes des écoles publiques aux entreprises privées...

Il repose sur l'idéologie selon laquelle la mise en concurrence produit de l'efficacité, bien loin des valeurs du service public que nous défendons.

Ces 500 millions d'euros (qui, rapportés au nombre d'élèves scolarisés, représentent un peu plus de 8 euros par an et par élève) devraient être distribués équitablement aux écoles dont les publics sont les plus en difficulté : le ministère dispose des données sur la sociologie des établissements scolaires français et pourrait le faire !

Ce n'est pas d'argent public distribué sans discernement et injustement réparti dont les écoles françaises ont besoin, mais :

  • de RASED complets,
  • de postes de remplaçant·e·s,
  • de moyens pour faire vivre une école inclusive,
  • d'un meilleur statut pour les AESH avec de véritables formations,
  • d'un salaire décent pour tous les enseignants qui ne soit pas sous forme de primes ou de tâches supplémentaires...

Boycottons ce dispositif destructeur de l'École publique ! Dénonçons cette mise en concurrence et cette intrusion des pires méthodes issues de l'entreprise privée au sein de l'Éducation nationale !